Anneleen De Bonte
La communauté comme boussole. Comment la confiance et l’appropriation montrent le chemin vers des soins humains
Comment concevoir des environnements urbains qui contribuent au bien-être de leurs habitants et à une société saine et solidaire ? Une question importante, surtout si l'on considère que 70 % de la population mondiale vivra dans les villes d'ici 2050. Cette question est au cœur du travail d'Anneleen De Bonte, entrepreneuse sociale et médecin généraliste expérimentée.
« Je crois vraiment que nous aurons besoin de moins de soins professionnels à long terme, si nous parvenons à renforcer le tissu social existant. Ce tissu existe, mais il est fragile et nécessite un renforcement conscient. Les gens portent cette capacité en eux. Nous le constatons tous les jours chez de Citadel, De Boomgaard, et Brouwerij De Ridder à Anvers... Si les conditions sont réunies, ce tissu social se développe. Alors donnez la clé aux gens. Start with a place. »
Anneleen De Bonte est médecin de formation et a travaillé comme médecin généraliste pendant 10 ans. Elle s'est transformée en penseuse de systèmes et en créatrice de changement. En tant qu'entrepreneuse sociale, elle s'est engagée à créer des environnements de vie qui favorisent la santé et l'inclusion, en se basant sur la conviction que le véritable changement commence par repenser les systèmes. Anneleen évolue à l'intersection de la santé, du développement urbain et du financement équitable. Grâce à des modèles de financement innovants, elle fait du capital un outil puissant de transformation sociale. Anneleen est administratrice du Stadsmakersfonds et de CV Citadel Diest.
« Pour moi, prendre soin des gens aujourd'hui signifie quelque chose de différent de ce que cela signifiait auparavant. Il ne s'agit plus de dispenser des soins classiques et directs basés sur des connaissances médicales, mais de se salir les mains, d'essayer des choses, de prendre des risques, d'échouer et de recommencer », souligne Anneleen De Bonte. « C'est devenu une forme d'entrepreneuriat social : chercher des financements, construire quelque chose, ajuster si nécessaire. C'est ce mode de travail entrepreneurial qui traduit aujourd'hui mon engagement », précise Anneleen.
« C'est aussi lié à ce que je suis. Ce n'est pas que je ne trouve pas les soins directs utiles, bien au contraire, mais la façon de soigner qui me convient le mieux est celle qui part d'une vue d'ensemble. J'essaie de contribuer à la création d'environnements où la santé devient presque naturelle, comme une conséquence logique de la façon dont nous concevons notre société. »
Le réaménagement de la Citadelle de Diest est l'un des projets qui concrétisent cette vision. Ce qui était autrefois une place forte militaire se transforme aujourd'hui en un lieu urbain accueillant et un vivier d'idées nouvelles pour la société et la ville de demain. Au sein de la société coopérative CV Citadel Diest et de l'initiative citoyenne Kwartiermakerij, la constitution de la communauté est centrale. Le résultat est prometteur. En un an, une quinzaine de jeunes entrepreneurs créatifs et/ou sociaux se sont installés sur le site de la Citadelle. Environ cinq personnes qui, pour diverses raisons, étaient inactives sur le marché du travail depuis longtemps ont commencé à y travailler. Certaines sont bénévoles, d'autres occupent un poste rémunéré au sein du projet. Pour Anneleen, c'est « le pouvoir d'un environnement qui permet aux soins et aux opportunités de se manifester naturellement, en faisant de la place à la connexion, à l'initiative et à la récupération ».
Un lieu qui relie les gens
Qu'est-ce qui fait qu'un lieu comme la Citadelle de Diest met les gens en mouvement ? Il s'agit en fait d'un exercice collectif de vivre ensemble. Les gens construisent ensemble quelque chose de plus grand qu'eux-mêmes. Et c'est justement ce qui les rapproche. Ces lieux, où la rencontre et l'engagement sont au centre des préoccupations, ont un attrait particulier. Il s'agit de ce que l'on appelle les third places ou "tiers lieux" : des lieux qui ne sont ni le domicile ni le travail, mais qui se situent entre les deux. On sent qu'il y a encore du travail à faire, mais aussi qu'il y a un énorme potentiel.
Ce qui était autrefois le café ou la salle communale peut aujourd'hui devenir un projet participatif. Un endroit où les gens peuvent vraiment faire la différence. Lorsqu'un noyau enthousiaste émerge, c’est communicatif. Les gens se sentent attirés par l'histoire commune d'avenir et travaillent ensemble. Le fait que ce projet soit soutenu par des citoyens qui font revivre une ancienne citadelle et y installent des entreprises témoigne d'un grand optimisme.
Et c'est cet esprit qui est à l'œuvre. Cela se reflète aussi dans les personnes qui nous rejoignent. Comme une architecte russe qui vivait en Belgique depuis plusieurs années et qui ne pouvait plus exercer son métier. « Elle dessine maintenant avec nous le projet du bar. C'est ce qui rend ce lieu possible. »
Nous sommes les protecteurs du patrimoine, des communautés et des lieux plein de sens. Des lieux de rencontre entre l'homme et la nature. C'est cette connexion que nous devons entretenir pour parvenir à une véritable durabilité. ‘We are protectors, not protestors’, comme l'ont clairement indiqué les Amérindiens lors de leur opposition au Dakota Access Pipeline.
Soins invisibles
« En fait, nous ne sommes pas explicitement occupés par les soins », précise Anneleen De Bonte. « Aucun membre de notre équipe n'est diplômé en travail social. Je suis la seule à avoir une formation médicale et les autres sont des artisans, des artistes, des entrepreneurs et même deux super chefs/traiteurs, car manger ensemble est également essentiel pour une communauté. Et pourtant, il y a beaucoup de soins dans la façon dont nous travaillons ensemble, construisons, cuisinons et nous occupons les uns des autres ».
« Un bon ami était au chômage depuis des années en raison d'un lourd burn-out. Les médecins l'avaient abandonné, mais nous avons vu son talent en tant qu'ancien ingénieur de projet. Lorsque nous avons eu un problème d'électricité, nous lui avons demandé de venir jeter un coup d'œil, non pas comme une thérapie, mais parce que nous avions besoin de son expertise. Il a commencé comme bénévole, un jour par semaine. Ensuite plusieurs jours, jusqu'à ce qu'il s'engage à plein temps. Finalement, nous lui avons proposé un contrat. Aujourd'hui, il est employé permanent, copropriétaire de notre coopérative et partage les risques. »
Qu'est-ce qui a fait la différence ? Il n'y avait pas de pression. Aucun médecin-conseil ne le poussait. Une simple invitation, à son rythme. Et cela fonctionne. Il y a encore des personnes atteintes de maladie mentale dans notre équipe de construction circulaire. En fait, l'une d'entre elle est toujours prise en charge, mais aide deux jours par semaine et cela fonctionne bien. Ce sont des artisans et des créatifs.
L'équipe de construction fait preuve d'une grande attention à sa manière. Si un membre de l'équipe ne se présente pas parce que cela ne va pas bien mentalement, il ne sera pas jugé pour cela. Pour le soutenir, les membres de l’équipe lui enverront un message ou passeront le voir avec de la nourriture et lui diront : « Viens, tu es le bienvenu, nous allons t’aider. » Il s'agit de soins sous forme de proximité et d'implication humaine.
Cela demande une attitude de la part de chacun sur le lieu de travail : la volonté d'aider à prendre soin des collègues en difficulté. Et tôt ou tard, tout le monde devra y faire face. Il s'agit donc aussi d'une forme de réciprocité.
Selon Anneleen, ces expériences illustrent exactement ce qu'elle veut dire : les gens s'épanouissent lorsqu'on leur donne de l'espace, qu'on leur fait confiance et qu'on part de leurs points forts. « Nous ne faisons rien de médical, mais il faut s'assurer que le contexte est sûr et favorable », explique Anneleen. « Cela nécessite un accompagnement. À cet égard, le soutien du Fonds ING pour une économie plus circulaire, géré par la Fondation Roi Baudouin, est notre principale source de financement. Ces ressources nous permettent de combiner la construction circulaire avec une équipe de construction sociale. En outre, nous avons reçu une subvention du département WEWIS au moment de la création de l'entreprise sociale ».
La grande majorité des investissements est supportée par CV Citadel elle-même : le projet est essentiellement autosuffisant. Le soutien financier externe a servi de levier pour mettre en mouvement un grand nombre de ses propres ressources. Le projet est donc solide et tourné vers l'avenir. « Avec cette initiative, nous voulons montrer comment vous pouvez contribuer à une société plus saine grâce à la construction circulaire et sociale de manière concrète et durable. Il s'agit d'un travail de pionnier par essais et erreurs. Et parfois, cela signifie aussi : fixer des limites pour protéger le groupe et le projet. »
Le soin se manifeste non seulement dans les relations humaines, mais aussi dans la manière dont nous façonnons notre environnement. Si nous voulons que la santé soit évidente, les villes et les espaces doivent être conçus de manière à ce que les choix sains deviennent les plus faciles à faire. L'aménagement de la ville joue également un rôle dans ce que les gens mangent, comment ils se déplacent et s'ils se sentent en sécurité. Marcher ou faire du vélo doit sembler logique. Un air sain va de soi. De la streetfood saine serait un atout et le besoin en est évident.
« Les personnes qui disposent de peu de temps ou d'espace mental se tournent automatiquement vers ce qui est rapidement et facilement disponible. Un petit pot en plastique avec quelques morceaux d'ananas chers, ce n'est pas ce dont je parle. Ce dont nous avons vraiment besoin, c'est d'une nourriture saine, abordable et rapidement disponible en rue. Une nourriture aussi évidente qu'une friterie », préconise Anneleen. « Parce que dans les situations de vulnérabilité, les gens choisissent souvent de prendre quelque chose à la friterie. C’est rapide, bon marché et ça se trouve partout. Mais imaginez qu'il y ait quelque chose de sain, de savoureux et d'accessible au même prix à chaque coin de rue. Ce n'est pas un rêve lointain, c'est tout à fait possible. »
Start with a place. Le lieu physique comme point de départ
Dans ce contexte, les initiatives qui impliquent activement le voisinage dans la création de lieux de soins sont une source d'inspiration. Un bon exemple est la conversion de l'ancienne école primaire De Boomgaard à Kessel-Lo en un lieu de vie inclusif, où les soins et la vie se rejoignent dans un environnement vert . Le voisinage participe activement et les soins partent des besoins et des souhaits des personnes ayant des besoins de soins divers.
Le projet est soutenu par le Stadsmakersfonds, une coopérative qui déploie des capitaux pour des biens immobiliers tournés vers l'avenir et contribuant à l’intérêt public. De Boomgaard a déjà eu un impact avant même que la première pierre ne soit posée. Le quartier a été impliqué dès le début. Des ministres se sont rendus sur place, mais surtout, les habitants se sentent impliqués.
Le Stadsmakersfonds montre comment le capital citoyen et la professionnalisation font des « commons » des acteurs à part entière aux côtés des pouvoirs publics et du marché.
L'équipe leur a littéralement donné la clé des bâtiments vides en disant : « Utilisez-les déjà ». Et c'est ce qui s'est passé. Tous les mercredis, les habitants du quartier préparent une soupe ensemble. Trente à quarante personnes s'y rendent, les enfants jouent à l'extérieur. Il n'y a rien de compliqué : une cuisine simple, une grande table et un jardin. Mais ça marche.
Il y a déjà des cours collectifs de kiné, des séances de yoga et une garde d’enfant en été, et ce avant même que les travaux de construction n'aient commencé. Les gens font spontanément ce que le lieu soutiendra bientôt officiellement : prendre soin les uns des autres.
De Boomgaard est en train de devenir une véritable third place. Ces lieux forment le tissu social d'un quartier, invitant à la conversation, à la collaboration et à la connexion.
Le Stadsmakersfonds est une société coopérative reconnue qui investit dans des projets de réaffectation innovants ayant un impact social positif. À une époque où le développement immobilier est souvent motivé par le rendement financier, le Fonds choisit délibérément des projets qui répondent aux besoins de notre société, tels que des logements abordables, la construction de communautés et la réaffectation durable. Ils réaffectent des bâtiments inhabituels, tels que des écoles, des brasseries ou des casernes vides, pour en faire des lieux qui rendent les quartiers plus dynamiques, plus durables et, surtout, plus chaleureux. Pensez aux logements sociaux, aux lieux de travail collectifs ou aux espaces de rencontre. L'engagement des citoyens en tant que coopérateurs crée une appropriation partagée. Ainsi, le Fonds ne construit pas seulement dans la ville, mais aussi la ville, en mettant l'accent sur les liens, les soins et la vie communautaire.
Parfois, une phrase tirée d'un livre reste en vous comme une sorte d'ancre intérieure. Pour Anneleen De Bonte, cette phrase est tirée de Participatory Research for Health and Social Well-Being (bron), un guide destiné à ceux qui souhaitent utiliser la recherche participative pour améliorer la santé et le bien-être des personnes. L'ouvrage fournit des outils permettant de s'attaquer aux wicked problems : des défis sociétaux complexes et tenaces d'aujourd'hui. Le conseil des auteurs est étonnamment simple : start with a place.
« Cette pensée ne m'a pas quittée depuis », dit Anneleen. « Parce qu'un lieu n'est jamais qu'un lieu. Il a une histoire et s'accompagne de tensions, d'attentes. Et c'est précisément pour cela qu’il constitue un point de départ puissant. Lorsque je suis entrée pour la première fois à la Citadelle, j'ai senti ce potentiel. Il ne s'agit pas d'un bâtiment vide, mais d'un terreau fertile pour quelque chose de nouveau. Pour concrétiser une autre façon de vivre ensemble, il faut un lieu. Un espace où les idées peuvent germer, où les gens se rencontrent. Un tel lieu peut créer un effet ricochet, d'abord dans le quartier, puis peut-être dans toute la commune. »
Des soins professionnels intégrés dans la vie des gens
En tant que médecin généraliste, vous travaillez dans un système très compartimenté. Chaque problème de santé a son spécialiste, chaque soin a sa place. Et même les personnes sont « triées » par âge ou par maladie, pour ainsi dire, et sont ensuite orientées vers un établissement qui leur correspond. Chez De Boomgaard, nous faisons les choses différemment : nous voulons intégrer les soins dans ce tissu.
Les soins de proximité, soutenus par la surveillance digitale, peuvent rendre inutile une grande partie de l'institutionnalisation. Les personnes déménagent souvent dans un centre de soins résidentiel ou une autre institution pour s'assurer d'avoir toujours quelqu'un à proximité. Mais dans quelle mesure cette sécurité est-elle encore réelle, quand on voit à quel point ces établissements manquent souvent de personnel et combien de temps les résidents doivent parfois attendre pour obtenir de l'aide ?
Grâce à des équipes de soins locales et à une technologie intelligente, nous pouvons également offrir cette tranquillité d’esprit à domicile. Un soignant à vélo peut être tout aussi efficace qu'une personne travaillant dans un centre de soins résidentiel. Ce n'est qu'à cette condition que l'échelle humaine est préservée : renforcer le contact avec le voisinage, plutôt que d'en retirer les gens. Nous devons nous éloigner d'une stricte compartimentation sans pour autant renoncer au professionnalisme. Les soins spécialisés restent nécessaires, mais de nombreuses tâches peuvent être assumées par les prestataires de soins informels s'ils bénéficient d'un bon soutien.
« Et puis il y a la façon dont nous concevons nos quartiers. Nous vivons souvent dans des maisons séparées, chacune disposant d'une parcelle clôturée », note Anneleen d'un ton critique. Mais que se passerait-il si nous créions plus d'espace pour la connexion, pour la rencontre, pour ce que j'appelle la « fluidité » ? Tout le monde ne souhaite pas vivre dans un cohousing avec des cuisines communes et c'est tout à fait normal. Mais de nombreuses formes intermédiaires sont possibles. Il suffit d'utiliser une machine à laver ensemble, de partager un jardin ou un espace. Cela permet aux gens de se voir plus souvent, d'apprendre à se connaître. Même quelque chose d'aussi banal que le partage d'une voiture nous incite à nous parler davantage. Il suffit de coordonner qui a besoin de la voiture et quand, pour que le contact soit établi. Et ce contact est la base d'un quartier solidaire. »
L'économie fonctionne grâce aux soins, mais ne reconnaît pas son rôle
Nous avons un peu perdu l'évidence des soins. Une personne qui s'évanouit, qui a des problèmes d'incontinence... tout cela semble soudainement compliqué. De nombreuses personnes ne savent plus comment gérer. Et c'est étrange, car c'est souvent ce que nous faisons pour nos enfants. Cette familiarité avec la maladie, avec le fait de prendre soin les uns des autres, nous l'avons quelque peu perdue culturellement.
Anneleen de Bonte dit souvent que « nous n'avons plus de place pour les soins, ni à la maison, ni dans notre emploi du temps. Nous avons de ce fait également perdu la compétence. Parce que les soins sont une compétence. Ce n'est pas compliqué, mais il faut avoir de l'audace et de la volonté. »
« Ma grand-mère - elle a 100 ans - est issue d'une génération où l'on était encore fier de s'occuper d'autrui. Ou comme l'a dit la tante d'une amie à propos de ses cinq enfants : « C'était un travail difficile, mais quand je montais dans le bus le dimanche avec mes enfants, lavés et soignés, je me sentais riche. »
« Aujourd'hui, les soins semblent surtout permettre d'éviter certains blâmes », note Anneleen d'un ton critique. « Si vous ne faites pas le ménage, vous recevez des commentaires. Si vous le faites, vous revenez à zéro. Personne ne dit : wow, tu as bien nettoyé ! Il y a peu d'appréciation, et encore moins de fierté. Si vous vous occupez vous-même de votre enfant, de votre parent malade et que vous faites des courses pour la voisine, cela ne compte économiquement pour rien ». Prendre soin des autres ? Bravo. Mais personne ne le voit.
« Mais si votre enfant est à la crèche, votre mère dans une maison de retraite, votre voisin dans un appartement de service, et que vous travaillez chez Familiehulp et que vous effectuez les mêmes tâches de soins pour d'autres, vous comptez soudain quatre fois dans le produit national brut. Cela en dit long sur la valeur que nous accordons aux soins. »
Pourquoi l'investissement d'impact n'est pas suffisant et pourquoi ne rien faire coûte trop cher
L'investissement d’impact est un terme qui apparaît de plus en plus dans les conversations sur le changement social. « Et à juste titre : investir en tenant compte de la valeur ajoutée sociale ou écologique est un grand pas en avant. Mais cela s’arrête souvent à des choix sûrs, à des solutions qui sont également intéressantes sur le plan financier. C'est ce sur quoi j'insiste ».
Aussi sympathique que cela puisse paraître, cela reste souvent du « cherry picking » : investir dans des projets qui semblent socialement responsables mais qui, plus important encore, rapportent. « Pourtant, je constate un changement », affirme Anneleen. « De plus en plus d'investisseurs disent ouvertement : nous sommes prêts à faire des compromis financiers si l'impact social est suffisamment important. Certains acceptent même délibérément une petite perte en capital. Cela donne de l’espoir. »
Mais ce qui continue de la déranger, c'est la répartition de la charge de la preuve. Prenons l'exemple des produits biologiques : ce sont les agriculteurs biologiques qui doivent prouver, à l'aide de certificats, de contrôles et de documents, que leurs légumes sont réellement biologiques. Alors que c'est l'inverse qui devrait se produire : les légumes ordinaires devraient porter une étiquette brune indiquant le nombre de pesticides qu'ils contiennent. Ce serait transparent.
Il en va de même pour l'investissement d'impact. La pression est maintenant sur l'investisseur qui essaie de changer quelque chose. Ce dernier doit prouver que son investissement apporte une contribution positive. Mais si nous voulons vraiment faire bouger les choses, nous devons aussi rendre visible le « coût de l'inaction ».
Combien cela nous coûtera-t-il si nous ne nous attaquons pas à certains problèmes ? Pensez au changement climatique ou aux soins de santé et de bien-être : si aucune mesure n'est prise à temps, les coûts sociaux et économiques augmentent. C'est ce que l'on appelle cost of inaction. Ce coût de l'inaction devrait peser aussi lourd que le coût de l'action. C’est particulièrement pertinent dans le domaine des soins de santé. Sans un meilleur soutien aux prestataires de soins professionnels et informels, nous en paierons le prix fort. Les conséquences de l'inaction sont réelles et croissantes.
Des rapports internationaux tels que Lancet Countdown 2024, le montrent clairement : l'impact du changement climatique sur la santé atteint des niveaux records. Le rapport établit également un lien entre le changement climatique et le risque de pandémies futures. Mais plus près encore, par exemple, l'organisation « Leuven 2030 » a commandé une étude qui quantifie le cost of inaction en termes de changement climatique.
Bien sûr, il s'agit de coûts qui ne se manifestent réellement que sur plusieurs générations, mais l'impact est déjà dramatique. Prenons l'exemple du nombre de décès dus à la pollution de l'air. En 2020, il y a eu plus de décès dus à la pollution qu'au COVID.
Prendre soin des personnes et de la planète provient de la même source : la prise de conscience que nous formons un tout, une interconnexion de personnes et de nature. Si nous oublions cela, nous traitons la terre comme si elle n'était là que pour être exploitée.
“« Pourtant, il reste difficile de déterminer qui doit calculer le cost of inaction et qui doit le supporter », constate Anneleen. « La prévention porte ses fruits, mais les bénéfices se situent souvent ailleurs. Investissez dans la santé mentale des jeunes aujourd'hui et vous économiserez sur la justice plus tard. Mais essayez de convaincre un ministre de la justice d'investir aujourd'hui dans le bien-être de la jeunesse. C'est loin d'être facile ».
De l'intra mural aux soins préventifs en dehors des murs
Il y a de l'argent dans les soins de santé, mais il est coincé dans des piliers. Il est particulièrement difficile de transférer des ressources entre des domaines politiques, même si les médecins et les prestataires de soins de santé savent depuis longtemps que certains traitements ne sont plus guère utiles. Des histoires d'acharnement thérapeutique apparaissent de plus en plus : des soins qui se poursuivent malgré de maigres chances de succès. Humainement et financièrement, c'est difficilement justifiable aujourd'hui. Il est temps de mettre en place des soins différents qui contribuent à une meilleure qualité de vie et à un système de santé plus durable. La prévention réduit la pression sur les soins curatifs, rend les soins plus abordables et renforce le tissu social.
Anneleen considère qu'il s'agit d'une tâche politique qui consiste à créer les conditions dans lesquelles la santé devient le résultat le plus naturel. En fait, nous savons depuis longtemps quelles sont ces conditions : une alimentation saine, de l'exercice, un réseau social et un sentiment de sens. Ce n'est pas difficile à comprendre, c'est juste difficile à réaliser.
Plusieurs initiatives montrent qu'il est possible d'agir différemment. Le projet Citadel expérimente activement les soins significatifs et la manière dont ils peuvent prendre forme : un lieu où les gens se sentent impliqués et valorisés.
C'est également le cas sur le site de De Boomgaard à Kessel-lo, où les voisins préparent ensemble une soupe le mercredi. Tout le monde est le bienvenu, y compris les personnes qui se sont déjà senties de trop. Il s'agit d'actions à petite échelle, ancrées dans le quartier. Cela crée un lieu où les soins deviennent réellement possibles. Il s'agit souvent de simples gestes d'attention, mais ils déclenchent quelque chose de significatif. « En fait, nous devons élaborer des politiques qui permettent exactement cela : qu'une chose mette l'autre en mouvement. »
Signaux d'espoir provenant de la société civile
Bien sûr, il y a des moments de découragement, lorsque les progrès s'arrêtent ou que les étapes précédentes sont annulées. C'est laborieux, mais nous continuons à avancer. Ce qui ressort, ce sont les nombreux signes d'espoir. Malgré des années de pression politique, la société civile trouve une nouvelle énergie, inspirée par l'entrepreneuriat social. Les gens se réunissent autour de ce qui leur tient à cœur et acquièrent ainsi de plus en plus d’influence sur le plan organisationnel. Outre les pouvoirs publics et le marché, les commons jouent également un rôle crucial. Leur professionnalisation en fait des acteurs à part entière du champ de force.
Un bon exemple est Miss Miyagi, un promoteur immobilier qui se consacre à des projets innovants à valeur ajoutée sociale. Ils n'investissent pas eux-mêmes, mais agissent en tant que prestataires de services. Ils sont également impliqués dans le projet Citadel, non seulement en tant que partenaire externe, mais aussi en tant que co-initiateur à part entière. « Nous avons rédigé ensemble le dossier de candidature pour l'occupation temporaire du site », explique Anneleen, « et ils ont activement réfléchi au contenu programmatique. Leur travail au Hal 5 de Kessel-Lo a été une grande source d'inspiration à cet égard. »
C'est l'amour du lieu et du quartier qui nous a réunis. Mais sans une organisation comme Miss Miyagi, qui sait comment professionnaliser les initiatives citoyennes, nous n'aurions jamais pu réaliser l'impact avec de Citadel que nous connaissons aujourd'hui.
Hal 5 est une reconversion autonome et temporaire d'un hall ferroviaire industriel protégé situé derrière la gare de Louvain, qui s'est transformé en un véritable moteur du quartier. Ce qui était autrefois un hall vide est aujourd'hui un lieu vivant avec un espace de restauration, un jardin communautaire, une chorale, un parcours de course libre et même un jardin-forêt. Une fois par mois, la piste de danse est ouverte à tous, des enfants aux octogénaires. Pas de limites, pas d'attentes, juste bouger ensemble. C'est un lieu qui relie les gens, sans grands discours.
« Ce que fait Hal 5 a également inspiré notre approche à Citadel Diest : créer un lieu qui soit porté par le voisinage et qui puisse s'autofinancer », reconnaît Anneleen. « Car telle est notre ambition commune : construire des lieux durables et significatifs qui évoluent avec et pour les gens. »
Connecting the dots
« Les espèces les plus prospères sont celles qui parviennent le mieux à soutenir la vie autour d'elles. Ce principe universel s'applique non seulement à la nature, mais aussi aux personnes », déclare Anneleen De Bonte dans son message de clôture. Il s'agit d'une idée qu'elle a tirée d'une formation d'un an sur la permaculture qu'elle a suivi.
Pour elle, il va donc de soi que le climat et l'écologie en font partie. « Si nous ne résolvons pas ce problème, tout le reste, et même la lutte contre le cancer, n'a aucune importance. »
En savoir plus sur les third places, la prévention et les modèles alternatifs de développement et de financement
- De Cock, G. & Meersseman, Ph. (2025). Grenzen aan genezen. Hoe menselijke zorg een zorginfarct voorkomt.
- Oldenburg, R. (1989). The Great Good Place. https://courier.unesco.org/en/articles/third-places-true-citizen-spaces
- Dolley, J. & Bosman, C. (2019). Rethinking Third Places: Informal Public Spaces and Community Building.
- Abma, T., Banks, S., Cook, T., Dias, S., Madsen, W., Springett, J., Wright, M.T. (2019). Participatory Research for Health and Social Well-Being.
- Miss Miyagi: www.missmiyagi.eu/nl/projecten/draaiboek
- Belgische ecosysteem van impactfinanciering: https://impactfinance.be