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Stijn Vanheule

Des soins des psychoses humains et tournés vers l’avenir. Rapprochez les interventions de groupe en première ligne de la vie normale, sortez des cabinets

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« Une bonne prise en charge commence par la capacité à tolérer le ‘non-savoir’, par l’exploration de la demande de soins en relation avec la vie et l’environnement de la personne », déclare Stijn Vanheule, professeur et expert en traitement des psychoses à l’Université de Gand. « Qui est cette personne ? » Pourquoi maintenant ? Qu’est-ce qui se passe vraiment ? Cette ouverture se retrouve souvent dans les soins informels : une discussion spontanée au café ou à la boulangerie peut signifier beaucoup. »

Mais cette proximité évidente est de plus en plus difficile à trouver. Dans une société hyper-réglementée, ces rencontres fortuites disparaissent. De nombreuses personnes, par manque de temps, n’ont plus l’espace pour cela. Aujourd’hui, tout est cloisonné : la garde d’enfants, les soins aux personnes âgées, la bibliothèque... Chacun de son côté. Et si nous recréions des lieux où les gens se retrouvent naturellement ? Où les jeunes et les personnes âgées se croiseraient et où les soins commenceraient par une simple conversation.

Stijn Vanheule est professeur de psycho-analyse et de psychologie clinique à l’Université de Gand. Il associe la recherche universitaire à un engagement social fort. Stijn prodigue également lui-même des soins, principalement à des personnes souffrant de problèmes psychiatriques complexes. Il est cofondateur et directeur de PsychoseNet.be, la plateforme de sensibilisation à la psychose qui fournit des informations et un soutien fiables. Par l’intermédiaire de PSYNC, un consortium multidisciplinaire engagé dans la recherche innovante et la collaboration autour de la santé mentale de chaque citoyen, Stijn participe activement à des modèles de soins innovants.

Des soins de qualité apparaissent à la rencontre de différents chemins

« Des soins de qualité apparaissent à la rencontre de différents chemins », affirme Stijn Vanheule. C’est une métaphore qu’il répète plusieurs fois au cours de la conversation. « Et de mauvais soins sont prodigués lorsque certains de ces chemins sont bloqués. Le premier chemin est l’expertise. Les prestataires de soins doivent bien savoir de quoi ils parlent. Dans le domaine des soins de la psychose, cela signifie qu’il faut vraiment comprendre ce que sont les psychoses, à quoi elles ressemblent, quels sont les symptômes que les personnes ressentent, mais aussi ce que cela signifie d’être psychotique. Que ressent-on face à cette réalité ? »

Vous avez donc besoin de connaissances à partir de perspectives multiples : observation, science et perspective à la première personne. Cela s’applique non seulement aux soins des psychoses, mais aussi aux soins du cancer par exemple : un urologue doit connaître les différents types de cancer et les traitements possibles. C’est le domaine de la connaissance.

C’est là qu’arrive un deuxième chemin : l’expertise lors d’une rencontre. La rencontre est ce qui se passe lorsque deux personnes se retrouvent réellement. Cela nécessite des qualités relationnelles : capacité d’écoute, processus d’empathie, compréhension de ce que vit l’autre personne. Des soins de qualité impliquent donc également d’avoir un feeling avec la personne assise en face de soi. Il ne s’agit pas seulement de raisonner à partir de sa propre expertise, mais d’essayer de comprendre ce qui préoccupe l’autre personne. »

« Les bons soins sont aussi des soins personnalisés », poursuit Stijn. « Nous venons d’une époque où les soins étaient trop fortement pensés en termes de catégories. Aux Pays-Bas, par exemple, les soins de santé mentale sont étroitement organisés autour de combinaisons diagnostic-traitement. En Belgique, nous sommes un peu moins stricts à ce sujet, mais la pensée en termes de protocoles est encore souvent présente : une personne est autiste, nous suivons donc le trajet X. De bons soins sont adaptés aux besoins individuels des personnes. Et pour offrir des soins personnalisés, il faut de l’expertise et des capacités relationnelles. »

Enfin, il y a l’intégration dans différents contextes, qui est le troisième chemin de la métaphore de l’intersection. « Il y a la personne dans son environnement résidentiel et relationnel immédiat - famille, amis, quartier, ville - et le contexte social plus large. Lorsque nous parlons de soins de qualité, nous devons tenir compte de toutes ces couches et de toutes ces connexions. »

Bien qu’il se concentre sur les soins de santé mentale, Stijn estime que la métaphore de l’intersection est tout aussi pertinente dans d’autres contextes de soins.

« Les soins techniques sont l’un des chemins vers le carrefour des soins de qualité, mais sans les autres directions, cela reste un tonneau vide : il résonne fort, mais n’est pas d’un grand soutien. En fin de compte, c’est une question de qualité de vie. »

Les lieux de rencontre sont la base d’une société attentive

Selon Stijn Vanheule, la rechute dans les soins informels accroît la pression sur les soins professionnels, en particulier dans le domaine de la santé mentale. Parallèlement, il remet en question les dépistages individuels et les interventions basées, par exemple, sur les scores d’anxiété ou de ressassement. Selon lui, cette approche est trop médicale et individualisée. Il croit davantage en des contextes sociaux qui fonctionnent de manière préventive : des lieux où les gens se sentent accueillis, reconnus et où ils ressentent un soutien. La prévention commence par le renforcement du tissu social et de la qualité des contacts interpersonnels.

« Les jeunes sont en contact avec de nombreuses personnes grâce aux réseaux sociaux, mais cela manque souvent de profondeur », poursuit Stijn. « Nos vies sont bien remplies, même la planification de cet entretien n’a pas été simple. Alors, comment créer des lieux où les gens peuvent être eux-mêmes ? Comment les formes ordinaires de la société, telles que les familles et les écoles, peuvent-elles servir de filet de sécurité et de contexte préventif pour les problèmes de santé mentale ? »

« D’ailleurs, cela vaut aussi pour les quartiers : dans un quartier urbain ou dans un village, y a-t-il un endroit où les gens peuvent simplement se rendre pour rencontrer d’autres personnes ? Sans avoir à payer quoi que ce soit ni à prendre rendez-vous. Un lieu public où la rencontre est naturelle, sans barrières. Ces lieux sont essentiels, selon moi. Ils constituent un élément essentiel d’une société solidaire. »

« C’est l’avenir : permettre des rencontres spontanées. Cette petite vie communautaire, cette fonction de soins informels, nous devons vraiment les placer au centre. Tant dans les soins formels que dans les soins informels. »

Il ne s’agit pas seulement du lieu lui-même, mais aussi des personnes qui s’y trouvent. « Prenons l’exemple des soins psychologiques de première ligne : ils sont aujourd’hui principalement organisés sous forme de consultations individuelles, souvent à l’initiative du médecin généraliste. Et si nous utilisions ce même budget pour assurer une présence permanente dans les quartiers ou les villages ? », propose Stijn. « Pour quelqu’un qui serait là pour ceux qui ont besoin d’une discussion. Songez à un centre communautaire où des activités ont déjà lieu. Comme ce serait précieux d’y avoir des personnes engagées dans les soins de santé mentale ? Non pas sous la forme de consultations formelles, mais comme une sorte de point-rencontre, un lieu accessible où les gens peuvent se rendre pour poser leurs questions et exprimer leurs préoccupations. »

Les centres TEJO et OverKop montrent déjà que les soins peuvent être dispensés différemment. Ils offrent un soutien aux jeunes ayant une demande de soins, sans directement les professionnaliser ou les bureaucratiser. Cela fait toute la différence : le seuil reste bas et les soins restent humains.

En revanche, nous voyons ce qu’il en est souvent dans les soins de santé mentale traditionnels. Dans les centres de santé mentale (CSM), les psychologues ne passent parfois que 30 à 40 % de leur temps avec les clients. Le reste est consacré à l’administration et à la concertation. Ainsi, l’essence des soins, le contact réel, passe à l’arrière-plan.

Trop souvent, la formation des prestataires de soins s’avère également un frein. L’accent est mis sur l’expertise et le travail evidence-based, ce qui, dans la pratique, signifie régulièrement suivre des protocoles bien définis. Mais de véritables soins exigent plus que cela. Ce qui nécessite de s’adapter à chaque fois au contexte unique de la personne. Qui est cette personne ? Qu’est-ce qui se passe vraiment ? C’est précisément cet aspect relationnel qui fait défaut dans de nombreuses formations, alors que les soins informels montrent à quel point une conversation spontanée et humaine peut être puissante. Les soins formels peuvent encore y puiser de nombreux enseignements.

Les soins à l’heure de l’IA : l’humanité comme repère

« Bien évidemment que les soins spécialisés sont essentiels », reconnaît Stijn Vanheule. « Si j’ai un cancer, je veux un médecin qui connaisse son métier. Mais je veux aussi être considéré comme un être humain, et non comme un cas ou un objet dans un protocole. Quelqu’un qui me regarde, qui connaît mon nom, qui me parle honnêtement. Les soins commencent par la coordination humaine. »

Dans le même temps, les soins de santé sont confrontés à un nouveau défi : l’essor de l’intelligence artificielle (IA). L’IA jouera sans aucun doute un rôle, y compris dans le domaine de la santé mentale. Il existe déjà des études dans lesquelles des chatbots formés à la thérapie comportementale se sont révélés aussi efficaces que des thérapeutes humains pour désapprendre certains comportements. Cela montre à quel point l’aspect technique des soins peut être automatisé.

C’est précisément la raison pour laquelle la coordination humaine devient encore plus importante. Même si l’IA soutient les décisions, le processus de soins doit rester ancré dans l’empathie et la rencontre. Il n’est pas possible d’automatiser cet aspect. Pensez à l’oncologue qui ne se contente pas d’entendre les plaintes médicales, mais qui écoute aussi le combat, l’impact sur la famille et le travail. Un médecin qui prend en compte l’ensemble de l’histoire et qui, dans ce cadre, recherche une intervention technique susceptible d’être intégrée de manière significative dans la vie d’une personne. Le soin n’est pas un acte technique en soi. Il doit être intégré dans ce processus relationnel. « Cette prise de conscience est en train de s’opérer », insiste Stijn. « La récente étude de l’UGent et de PsychoseNet.be sur les soins de la psychose de l’avenir a permis de dégager un schéma directeur clair : l’accent mis sur la rencontre humaine et la coordination relationnelle. Ce qui manque aux gens, c’est un accueil chaleureux, une attention réelle et une implication dans leur contexte. »

Le chemin à suivre : des soins intégrés dans la vie quotidienne

Un bon accompagnement en matière de médicaments ne consiste pas à « faire une piqûre et basta », mais à s’asseoir autour d’une table avec le patient, de préférence en présence de sa famille, et à avoir une conversation ouverte sur les effets positifs et négatifs des médicaments, à court et à long terme. « Cette discussion doit permettre d’instaurer un climat de confiance », explique Stijn. « Pour que la personne sache : je ne suis pas un objet de soins, mais un sujet de soins. Et par sujet, j’entends : une personne avec sa propre perspective, une vision personnelle d’elle-même, de la problématique et du monde, ainsi que des doutes et des incertitudes. Les soins de l’avenir doivent se concentrer là-dessus. L’expertise reste importante, mais nous ne devons pas penser que les soins peuvent être réduits à des protocoles et à des directives evidence-based. Ces mesures sont précieuses, mais pas suffisantes. »

« Qu’est-ce qui nous empêche d’avancer réellement dans cette direction ? Cela s’explique en partie par le fait que la médecine à la prestation est profondément ancrée dans notre conception des soins. En outre, nous n’avons pas suffisamment investi dans les solutions alternatives. Les interventions de groupe présentent un grand potentiel, à condition qu’elles ne se transforment pas en ‘thérapie de groupe dans un local à huis clos’. »

Heureusement, des initiatives créatives voient le jour. À Gand, par exemple, la psychologue Valérie Teirlinck organise des séances de groupe sur le deuil au Musée des beaux-arts. Les œuvres d’art y sont le point de départ de récits personnels d’adieu et de deuil. La visite du musée devient alors une expérience réconfortante, bien plus qu’un protocole thérapeutique.

On peut tout aussi bien organiser un tel événement avec des personnes sensibles à la psychose, par exemple, et surtout, cela ouvre une perspective plus large sur les soins. Les interventions de groupe en première ligne doivent être plus souvent adaptées à la vie ordinaire, loin du cabinet. Dans le respect de la vie privée, bien sûr, mais en privilégiant la rencontre avec les autres, avec la culture, avec la société. Cela favorise l’inclusion. L’inclusion peut être abordée en partant de l’idée que la diversité est normale et que la normalité n’est pas le privilège d’un sous-groupe de la société.

Il est également utile que ces interventions aient lieu dans des endroits où les gens se rendent facilement : une maison de quartier, un théâtre ou un musée. Stijn et son équipe ont pu le constater dans le cadre de leurs recherches. Quand on voit les gens boire un café, on a plus facilement envie d’entrer. « C’est cela l’avenir : des soins intégrés dans la vie quotidienne. Cette petite vie communautaire, cette fonction de soins informels, nous devons les mettre au cœur du quartier, mais également de l’école. Il est préférable de renforcer les écoles en tant que lieux de rencontre entre les jeunes eux-mêmes, mais aussi avec les adultes : enseignants, personnel soignant, personnel de soutien. »

13 principes comme fil conducteur pour une prise en charge humaine et tournée vers l’avenir de la psychose

Pour leur étude sur les soins futurs en matière de psychose, Stijn Vanheule et ses collègues chercheurs se sont entretenus avec 77 personnes : 19 experts en vécu, 20 proches (parents et partenaires) et 38 professionnels. Ce dernier groupe comprenait des infirmières, des éducateurs, des psychologues et des psychiatres. « Nous leur avons demandé ce qu’il fallait faire pour préparer le soin des psychoses à l’avenir et mieux soutenir la convalescence. »

Les participants ont cité des exemples de bons soins, mais aussi de situations dont ils ont honte ou qui tournent souvent mal. Sur la base de leur contribution collective, l’équipe de recherche a formulé « 13 principes pour une prise en charge de la psychose tournée vers l’avenir » . Un principe saute aux yeux : « Affichez et gérez la peur et l’incertitude de manière professionnelle. Ce point est crucial.

Dans le soin des psychoses, les prestataires sont souvent confrontés à des situations qui les affectent fondamentalement : des personnes qui perdent le sens des réalités, qui vous insultent, qui ont un comportement agressif, qui ont subi un traumatisme. Cela vous touche profondément. Faute d’un soutien suffisant, les professionnels réagissent parfois avec distance ou rigidité, exactement ce dont les patients n’ont pas besoin. Pensez aux services où les infirmières sont généralement assises dans le local du personnel, tandis que les patients mangent seuls. L’éloignement de la famille et des autres proches est également un problème.

Mais les patients ont justement exprimé leur besoin de manger ensemble, d’avoir des contacts. Les proches ont également besoin d’implication et de dialogue. Cela ne sera possible que si nous reconnaissons à quel point ces situations sont difficiles pour les soignants et si nous les soutenons activement par la supervision, l’intervision et la formation. Il ne s’agit pas seulement d’un transfert de connaissances, mais aussi d’un espace de réflexion sur les actes professionnels.

En outre, une vision claire est nécessaire : Qu’entendons-nous par de « bons soins » ? « Cette vision doit se traduire dans la politique de qualité. Aujourd’hui, l’accent lors des inspections est souvent mis sur les procédures et les normes ISO. » Stijn plaide en faveur d’un autre modèle : l’amélioration de la qualité basée sur la vision et le feed-back. « Par exemple, si vous travaillez avec les 13 principes, vous pouvez mettre en place un système de feed-back à 360° où les patients, les proches et les prestataires examinent ensemble à quels point ces principes s’appliquent dans un service. Sur cette base, vous vous améliorez en tant qu’équipe, conjointement et dans le dialogue. »

« Essayez de penser aux soins pour les groupes les plus complexes. Si vous parvenez à formuler des soins de qualité, vous pouvez en extraire des principes directeurs qui s’appliquent également à des groupes plus larges. C’est pourquoi la recherche dans le domaine des soins de la psychose est si pertinente. »

Bien que ces principes orientés vers l’action découlent de recherches récentes sur les soins de la psychose, ils vont plus loin. « Ils sont applicables aux soins psychiatriques au sens large et peut-être même au-delà », explique Stijn. « Mon expertise porte sur la prise en charge des psychoses et c’est exactement la raison pour laquelle nous avons commencé par là. On entend souvent : « Cela peut fonctionner dans le cas d’une dépression, mais pas dans le cas d’une psychose, parce que le sens de la réalité n’est plus là ». C’est précisément ce qui fait leur force : si ces principes fonctionnent avec le groupe cible qui est peut-être le plus difficile, ils seront également valables pour d’autres populations, telles que les personnes souffrant de dépression ou de démence. De plus, ces principes ont été recueillis de manière bottom-up. Aucun prestataire ne s’en offusque, mais toutes les personnes impliquées dans les soins les reconnaissent. »

Apprendre à gérer l’ambiguïté et l’incertitude

Pourtant, il n’est pas évident de rassembler toutes ces idées en un seul cadre cohérent. Ce qui est frappant, c’est qu’on préconise rarement de manière explicite des interventions purement techniques. Bien sûr, les gens reconnaissent l’importance d’une médication ou d’une thérapie appropriées, mais personne ne considère qu’il s’agit de la solution. Les soins techniques ont leur place, mais ils doivent s’inscrire dans un cadre relationnel plus large, une base horizontale sur laquelle les interventions sont alignées.

Pour cela, il faut apprendre à gérer l’ambiguïté et l’incertitude. Une telle initiative doit également être menée au niveau politique. Un psychiatre ne peut accepter de travailler dans le domaine de l’aide à la convalescence que s’il se sent soutenu dans cette démarche par la direction. Il en va de même pour une infirmière qui est assistée par l’ensemble de l’équipe. La responsabilité doit être partagée et, en même temps, nous devons avoir l’humilité de reconnaître que, souvent, nous n’avons pas la solution. Dans le domaine de la santé mentale, peu de choses fonctionnent de manière universelle. Nous savons que certaines interventions sont utiles, mais nous ne pouvons jamais prédire avec qui et quand.

Les diagnostics DSM en sont un bon exemple. Leur fiabilité et leur validité scientifiques sont souvent limitées. Les étiquettes telles que le TDAH ou la dépression sont des conventions, et non des catégories scientifiques rigoureuses. Il ne s’agit pas de saper les soins, mais plutôt de les renforcer en faisant preuve d’ouverture et d’honnêteté sur ce que nous savons, et surtout sur ce que nous ne savons pas.

Dans une société démocratique, nous devrions pouvoir être transparents à ce sujet. Y compris dans les soins. Parce que cela conduit à une responsabilité partagée. Oui, parfois nous prenons des risques. Et oui, nous voulons prendre ces décisions délibérément, en concertation avec nos collègues, les patients et leur environnement. Les soins ne sont jamais entièrement contrôlables. Et cela fait également partie de la société humaine : apprendre à gérer ensemble des risques calculés.

Les politiques sont également de plus en plus souvent demandeurs de faire les choses différemment. L’ouverture est plus grande qu’il y a dix ans. On sent que le modèle actuel ne suffit pas. En effet, si les traitements evidence-based étaient vraiment efficaces, l’incidence des problèmes psychiques diminuerait. En réalité, la demande de soins continue d’augmenter. C’est un paradoxe.

Dans le même temps, les carences sont de plus en plus visibles. Les experts du vécu, comme Brenda Froyen, nous tendent un miroir qui incite à réfléchir. Ils montrent ce que nous préférerions ne pas voir, et cette prise de conscience se fait également au niveau politique. À cela s’ajoute la pression financière : si nous continuons à suivre le modèle purement interventionniste, la pression sur le système devient si forte qu’elle finit par devenir insoutenable.

« Il y a donc de nombreuses raisons d’envisager un changement, tant du point de vue de l’utilisateur que du point de vue de la logique politique », souligne Stijn. « Je constate qu’il existe un consensus de plus en plus large sur le fait que le modèle purement interventionniste touche à sa fin. »

« Mais changer le système est loin d’être facile. Au sein des réseaux régionaux des soins de santé mentale, les acteurs établis déterminent encore largement l’organisation des soins. Ils sont éventuellement prêts à supprimer certains services, à condition de pouvoir les reconstruire ailleurs. Sociologiquement, c’est tout à fait compréhensible : ils ne veulent pas perdre leur position de pouvoir. Cependant, cela rend l’ensemble lourd et lent. »

« Dans le même temps, de belles initiatives populaires émergent de la base, mais elles se heurtent aux structures existantes et ne reçoivent pratiquement aucun financement, alors qu’elles sont souvent plus conformes aux valeurs qui nous tiennent à cœur. Ce champ de tension est très réel », explique Stijn. « Je le ressens moi-même. Malheureusement, je ne peux pas dire exactement ce qui doit changer ou qui doit faire le premier pas. »

Les initiatives de soins à petite échelle cherchent leur place dans un paysage complexe

La ferme de soins Gooikenshoeve vzw est un exemple frappant, unique en son genre . La ferme de soins s’engage à promouvoir le bien-être mental des adolescents et des jeunes adultes vulnérables. Ils visent le rétablissement mental par une proximité chaleureuse, une connexion spontanée et un engagement inconditionnel, sans se laisser guider par des protocoles et des réflexes thérapeutiques. L’asbl Coconuts, basée à Louvain, en est un autre exemple. En tant que collectif composé de personnes sensibles à la psychose et de professionnels, ils mettent au point chaque année un magazine d’art. Le résultat est à chaque fois magnifique, mais plus encore, le processus de création est incroyablement puissant et stimulant pour les participants.

Ces lieux répondent presque parfaitement aux 13 principes d’une bonne prise en charge de la psychose. Pourtant, ils doivent sans cesse rechercher des financements, tout en travaillant avec des jeunes qui ont du mal à s’intégrer ailleurs. Et c’est là que réside le paradoxe : nous savons ce qui fonctionne, mais le système est lourd et ne fait pas preuve d’une grande inventivité pour aborder différemment la prise en charge de la vulnérabilité mentale.

Pourtant, selon Stijn, les choses peuvent être différentes. « Regardez la Villa Voortman à Gand. Le Centre psychiatrique de Gand-Sleidinge met du personnel à disposition, la ville de Gand apporte une contribution financière, la justice fournit des moyens et le fonctionnement est assuré dans une asbl distincte. C’est exceptionnel. Si vous parvenez à détacher de petits morceaux de systèmes plus grands, vous pouvez vraiment mettre quelque chose en mouvement. »

Une telle structure d’asbl fonctionne, à condition qu’il y ait de la confiance. Et c’est précisément là que le bât blesse souvent. Néanmoins, des initiatives locales fascinantes voient le jour partout en Flandre, généralement soutenues par des bénévoles engagés, souvent des personnes ayant une expérience des soins ou un proche d’une personne en traitement. Ils sont déçus par le système qui leur pèse également et veulent faire les choses différemment. TEJO en est un bon exemple. Il est apparu en réaction aux soins formels hyper-professionnalisés, dans lesquels les personnes ne se sentent plus considérées comme des êtres humains. Les jeunes peuvent s’y rendre sans barrières, sans étiquettes et sans listes d’attente.

Et qui sont les volontaires ? Ce sont souvent de personnes qui travaillent aussi dans les soins de manière professionnelle. « Le fait que de telles initiatives continuent de voir le jour est en soi un diagnostic de ce qui ne va pas dans le système », note Stijn. « Si vous ne passez que 30 à 40 % de votre temps à travailler avec des clients, comment pouvez-vous avoir le sentiment de représenter quelque chose d’important pour une personne ? »

« L’expertise technique prédomine trop souvent aujourd’hui, alors que je préfère la considérer comme l’un des chemins possibles au sein de la métaphore de l’intersection. Il est certain que les problèmes complexes requièrent des soins techniques. Mais sans les autres dimensions, cela reste un tonneau creux : il résonne fort mais n’offre pas beaucoup de soutien. En fin de compte, c’est une question de qualité de vie ».

Cette qualité est mise à l’épreuve lorsque d’autres aspects des soins, tels que la proximité humaine et la reconnaissance, restent sous-développés. Cela est d’autant plus vrai pour les personnes qui ont des difficultés à participer en raison d’un handicap. Leur qualité de vie est souvent directement liée à la mesure avec laquelle elles sont perçues et abordées en tant qu’êtres humains par des bénévoles, des amis ou des prestataires de soins professionnels.

Cela ne nécessite pas toujours une expertise poussée, mais bien un engagement relationnel. Pensez aux personnes âgées qui ont des difficultés à se déplacer : se sentent-elles reconnues ou plutôt traitées avec condescendance ? La différence réside dans la manière dont vous nouez le contact avec quelqu’un.

Le courant de fond est en train de s’agiter. Il est temps d’agir

Nous vivons dans une société complexe. Ces cinq dernières années, les bouleversements mondiaux et politiques ont été si nombreux qu’il est difficile de croire, en tant qu’individu, que l’on peut encore avoir un impact réel.

Stijn Vanheule est néanmoins optimiste. « Parce qu’en fait, nous savons très bien ce qu’il faut faire. Lorsque je donne cours à des étudiants en psychologie et que je leur parle des principes d’une prise en charge humaine de la psychose, ils adhèrent immédiatement. Je n’ai pas besoin de les convaincre. Je n’ai pas inventé ces principes moi-même. Ils sont nés à partir de la base. Ce sont des idées qui traversent l’esprit de nombreuses personnes.

« Je crois donc qu’il existe véritablement un mouvement. Le défi consiste à rendre plus explicites ce courant informel sous-jacent et cette intuition collective. Et c’est difficile. En effet, l’aspect technique semble plus facile à vendre à première vue, mais cet aspect est en train de s’enliser. Les signaux sont là. Nous ne pouvons pas continuer comme nous le faisons actuellement.

Une société accueillante

Le 13e principe directeur indique : cherchez un lien avec la société. « C’est la solidarité en action, non pas comme un slogan, mais comme quelque chose de tangible », souligne Stijn Vanheule. « La solidarité consiste à soutenir les personnes dans leur participation à la société et à œuvrer pour rendre la société plus accueillante. Pensez aux « cafés suspendus », aux soupes ou aux tickets culturels, aux petits gestes qui ouvrent des portes. Ainsi, un café ou une maison de la culture devient un lieu accueillant pour tous, et pas seulement pour ceux qui peuvent se le permettre. Les visiteurs réguliers sont ainsi immédiatement mis en contact avec un public plus diversifié. Ce principe devrait s’appliquer partout : dans les bibliothèques, les clubs sportifs, les maisons de la culture ... Faisons de ces lieux de véritables espaces de rencontre. En réunissant physiquement les dispositifs, on brise les stéréotypes.

La solidarité se développe lorsque les gens se reconnaissent dans des histoires vraies. Mais la solidarité durable ne se limite pas à la reconnaissance : elle exige également une ouverture à l’inconnu et un engagement structurel allant au-delà de la charité.

 

En savoir plus sur la sensibilité à la psychose, la convalescence, les soins futurs en matière de psychose :

  • Vanheule, S., van Os, J. (2022). Psychose begrijpen in 33 vragen.
  • Vanheule, S. (2021). Waarom een psychose niet zo gek is.
  • Froyen, B. (2025). Tussen waan en zin. Toen de psychose terugkwam.
  • PsychoseNet.be est une initiative d’experts du vécu, de parties prenantes et de professionnels. La plateforme web se veut un lieu à bas seuil où, outre des informations de qualité et normalisantes, de l’espoir et du soutien sont offerts : www.psychosenet.be
  • Série de podcasts : Stemmen-over-psychose-podcast
  • Coconuts est une entreprise créative à Louvain pour et par de jeunes adultes avec sensibilité à la psychose : www.coconuts-space.be
  • https://stijnvanheule.psychoanalysis.be
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