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Jean Macq

L’importance de la proximité et de la relation dans le soin 

 

« Aujourd’hui, on valorise l’acte technique, pas la relation. Il faut inverser cette logique. »

« Les soins ne sont pas mesurables. Il faut changer les indicateurs : abandonner l’obsession de l’efficience immédiate et miser sur la robustesse à long terme. »

 

Jean Macq est professeur à la Faculté de santé publique à l’UCLouvain, où il enseigne l’organisation des soins de santé et l’approche systémique en santé publique. Il est chercheur senior à l’Institut de recherche santé et société (IRSS - UCLouvain).

Ses domaines de recherche incluent l’organisation des soins de santé primaires, l’intégration des soins, l’évaluation des interventions complexes et des systèmes complexes. Il est actuellement l’un des chercheurs principaux du projet Be-Safe.

Il possède une vaste expérience dans la coordination de projets de recherche et d’évaluation dans le domaine de l’organisation des soins de santé en Belgique, en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Il a également une grande expérience en gestion, en recherche et en enseignement dans les systèmes de santé en Belgique, en Europe, en Afrique, en Amérique latine et en Asie

Il est actuellement impliqué dans l’équipe Horyzys , et dans des projets sur la de-prescription médicamenteuse

 

La question du soin touche immédiatement au cœur de l’activité de Jean Macq et des équipes avec lesquelles il travaille. La notion de proximité s’invite très rapidement dans nos échanges mais il ne s’agit pas de la seule dimension explorée. La robustesse de notre système est mise en opposition avec la recherche d’efficience tous azimuts que nous vivons aujourd’hui et cela nous amène à réfléchir à une autre organisation des soins, pour (re)mettre en marche ce « vrai prendre soin » en perte de vitesse dans la société d’aujourd’hui.

« Prendre soin, c’est s’assurer que l’autre se sente bien, respecté et compris. On ne prend pas soin de l’autre mais avec l’autre. »

 Le soin de proximité favorise une société bienveillante, solidaire, qui prend soin

Les personnes les mieux placées pour faire vivre une société qui prend soin sont celles qui agissent là où les gens vivent. La proximité est essentielle pour créer et maintenir un lien durable, sans lequel le véritable « prendre soin » ne peut s’exercer pleinement. Pour bien prendre soin, il faut comprendre comment les personnes vivent, là où ils vivent, … Cela permet de construire, avec elles, une réflexion partagée et une approche adaptée à leurs besoins.

Les acteurs de cette proximité sont issus tant du secteur de la santé que du social : infirmières à domicile, médecins généralistes, aides familiales, pharmaciens, travailleurs sociaux, ergothérapeutes… Mais ces professions sont aujourd’hui trop peu reconnues à leur juste valeur.

Ce manque de reconnaissance s’explique notamment par le manque de visibilité des activités propres au «prendre soin » dans notre société d’aujourd’hui. Pourtant, le bénéfice est évident : il réside au cœur même de la relation humaine, de l'interaction (même brève) entre le soignant et le soigné. Cependant, ce bénéfice n’est pas mesurable et la proximité n’est pas reconnue comme essentielle.

Or, dans la société actuelle, nous ne reconnaissons que ce qui est tangible et mesurable, dans une optique de pouvoir mesurer l’efficience (jugé comme particulièrement important par certains) et donc de pouvoir contrôler. Même en santé, nous avons tendance à ramener les activités à l’impact mesurable qu’elles ont car c’est sur cette base que les financements sont alloués.

C’est ce qui explique en partie pourquoi le centre de gravité de notre système de santé reste l’hôpital : une structure organisée autour d’actes techniques bien définis et mesurables. Pourtant, ce modèle montre ses limites et appelle à une transformation.

Le véritable soin, lui, n'est pas mesurable et il devient urgent de rendre visible cette dimension invisible du soin : celle qui se vit au plus près des personnes, dans la proximité.

La relation dans le soin pour un soin juste

 La dimension relationnelle et temporelle du soin est une autre clé pour comprendre ce qu’est le « vrai soin ». Entrer en relation avec la personne permet de mieux prendre en compte et comprendre son contexte, sa volonté, son besoin : des éléments essentiels pour offrir un soin juste et adapté. Cela implique que les professionnels de la santé adoptent une posture de partage de pouvoir et qu’ils se mettent au même niveau que la personne qu’ils ont en face d’eux, afin d’instaurer un climat de confiance. Ouvrir le dialogue avec la personne concernée permet de construire ensemble les solutions de santé face à la maladie. Mais comprendre les gens, les mettre en confiance, se mettre au même niveau, … cela requiert du temps. La dimension temporelle et l’accompagnement sur le long terme sont des notions qu’il faut remettre à l’agenda des politiques de santé, car le court terme n’est souvent qu’une partie de la solution en santé.

Dans l’organisation actuelle des soins, ce temps précieux manque. La relation humaine, l’échange sont réduits à leur strict minimum. D’où l’importance de redonner toute leur place aux soins de proximité qui permettent justement de prendre ce temps et de créer un véritable impact.

Les soins aigus ont bien sûr un rôle et sont nécessaires pour faire face à des situations complexes et plus urgentes. Mais pour améliorer la santé de la population sur le long terme, le soin « de proximité » (enraciné dans le quotidien et dans la continuité) apparaît comme une solution plus durable et mieux adaptée.

 L’efficience à court terme en opposition à la robustesse et la résilience, pour plus d’équité en santé sur le long terme

Ces réflexions nous amènent à une notion centrale : celle de la « robustesse » du système de santé. Améliorer notre système ne signifie pas seulement en accroître l’efficience. Sans résilience, l’efficience perd tout son sens. C’est pourquoi il est essentiel de penser la robustesse comme fondement de tout système de soins durable.

La robustesse est un concept central pour comprendre comment les systèmes biologiques et humains peuvent non seulement survivre, mais aussi prospérer dans un environnement incertain et fluctuant. Contrairement à la vision traditionnelle de la stabilité, souvent associée à l’homogénéité et à la standardisation, la robustesse repose sur des mécanismes d’hétérogénéité et d’imprévisibilité, que l’on observe notamment dans la nature. (source)

La robustesse repose sur deux piliers : la redondance des fonctions clés et la qualité des connexions entre les acteurs. Cela signifie que plusieurs intervenants peuvent accomplir une même tâche, selon des modalités différentes et dans des contextes variés. Il ne s’agit pas de dupliquer les efforts, mais de rendre les services accessibles sous des formes multiples, en priorité à ceux qui en ont besoin (pour que ces services soient offerts de manière équitable). La vaccination en est un bon exemple : pour toucher l’ensemble de la population, il est indispensable que plusieurs professionnels puissent vacciner — pharmaciens, infirmiers, médecins généralistes ou encore les services de promotion de la santé en milieu scolaire (PSE).

Reconnaître la diversité des professions de santé, c’est accepter que des compétences proches puissent s’exprimer différemment, selon les approches, les caractéristiques des bénéficiaires et les situations. Cette robustesse pourrait donner l’impression d’une moindre performance immédiate. Pourtant, elle constitue le socle d’un système réellement résilient, capable d’évoluer et de durer. Il est temps de sortir d’une logique où les résultats à court terme — en particulier sur une législature de quatre ou six ans — servent de seule boussole. Ce sont les effets à long terme qui comptent vraiment.

 L’organisation des soins : investir dans la connectivité, la proximité, la relation développée au sein des bassins de vie

La question est comment changer vers plus de robustesse, de résilience et d’équité. Comment mieux valoriser le prendre soin de proximité qui est la plus fragile des mailles de la chaîne de valeur des soins de santé à l’heure actuelle ?

Développer l'approche territoriale du soin semble la plus adaptée : en définissant des bassins de vie au sein desquels les personnes ont accès aux équipements et services les plus courants, il devient possible de penser une organisation des soins proche des gens et permettant des relations de soins sur le moyen, voire sur le long terme. L’idée serait aussi de rapprocher la gouvernance des acteurs du soin, qui se situe souvent loin du « terrain », afin de rendre visible leur action et de remettre du lien entre les différents réseaux de soins existant en Belgique. C’est un travail qui a déjà démarré il y a quelques années en Flandre (par la création des « eerstelijnszones ») et à Bruxelles (avec les 5 bassins de soins). En Wallonie par contre, il doit encore commencer avec la mise en place des OLS (Organisations Locorégionale de Santé)

Travailler sur l’identité des soins primaires et généralistes est un autre axe de développement prioritaire. Aujourd’hui, nous assistons à un glissement vers une identité et des compétences purement spécialisées, au détriment parfois de compétences généralistes mieux positionnées pour développer la dimension humaine et relationnelle du soin. 

Le concept prometteur du référent

En termes de rôles aussi, des solutions peuvent être imaginées. Le renforcement du travail en silo et l’absence de vraie collaboration entre les spécialités rendent en effet le parcours du patient de plus en plus laborieux. Le patient est souvent seul face à ces multitudes de contacts dans son trajet de soins et c’est là qu’un rôle de référent prendrait tout son sens : le référent serait la personne à qui le citoyen peut s’adresser s’il a des doutes ou des soucis sur une décision à prendre relative à sa santé… Aujourd’hui, chacun peut être perdu face à des trajets de soins de plus en plus complexes et impliquant de nombreux acteurs.

Ce rôle de référent doit être endossé par ce qu’on appelle les fonctions généralistes, c’est-à-dire les acteurs qui ne s’occupent pas de profils de patients précis (les enfants, les personnes âgées, les personnes atteintes d’un certain syndrome, etc.), mais qui approchent la personne de façon globale. Les fonctions généralistes peuvent être des pharmaciens, des médecins généralistes mais aussi des infirmiers ou d’autres rôles. Ces fonctions voient la personne dans son environnement et prennent en charge la dimension relationnelle du soin.

Ce sont des professionnels avec qui l’on devrait retrouver une proximité et à qui on ose poser des questions. Ces acteurs rendent le jargon social-médical compréhensible et prennent en compte qui vous êtes, où vous vivez, etc. Ils permettent de se positionner plus confortablement par rapport à des décisions prises ou à prendre.

Au-delà des spécialismes et du temporaire

Bien sûr, les associations de patients font partiellement ce travail, mais elles sont généralement présentes pour un profil bien précis de patients (ex. atteints de maladies spécifiques comme la maladie de Crohn, la mucoviscidose, …). On peut parler d’experts expérientiels ou experts du vécu qui conseillent sur un trajet de soin ou une maladie en particulier.

Le référent peut plutôt être envisagé comme un « navigateur ». Il va aller au-delà d’une pathologie ou d’un domaine, garder une vision large et réduire la distance avec les professionnels à profils plus spécialistes.

Le rôle de « case manager » qui est aujourd’hui prévu dans certains trajets de soins se rapproche un peu du rôle de référent mais il est toujours temporaire, le temps du déroulé d’un parcours de soins. Ce rôle est actuellement prévu lorsque l’accompagnement du patient prend trop de temps pour pouvoir être endossé par le médecin généraliste.

Dans ce contexte de multiplication des rôles autour du patient, l’échange d’information entre ces acteurs est clé et beaucoup de systèmes sont mis en place pour organiser la manière dont on génère et dont on enregistre l’information par rapport au patient. La systématisation et la numérisation sont certainement des pistes mais cela ne va pas tout solutionner : la rencontre entre les acteurs de soins de proximité est un acte de transmission d’informations à ne pas négliger car il devra faire partie de la solution.

Ces réflexions ont amené Jean Macq à nous partager une vision que l’Australie a développée sur son organisation des soins, car elle reflète très bien l’importance de la proximité dans les soins et la visualisation du soin plus aigu au sommet de la hiérarchie des soins :

 

 Représentation du paysage de la santé en Australie Le paysage de la santé en Australie se divise en quatre niveaux :

- Le premier, le niveau le plus large est celui des « déterminants de la santé et autres facteurs démographiques ». Il comprend l’éducation, l’emploi, le revenu, la famille et la communauté, les zones rurales et éloignées, ainsi que les populations autochtones australiennes.
- Le deuxième niveau est celui de la « promotion de la santé et de la prévention des maladies ». Il inclut la vaccination, l’alimentation, l’activité physique, l’usage de drogues illicites, la lutte contre le tabac, la consommation d’alcool, la santé mentale et le dépistage du cancer.
- Le troisième niveau est celui des « soins de santé primaires et communautaires ». Il englobe la pratique dentaire, la pharmacie, les professions paramédicales, la médecine générale, les réseaux de santé primaires, les soins communautaires et les soins aux personnes âgées.
- Le quatrième et plus petit niveau est celui des « soins spécialisés, aigus et en établissement ». Il comprend les services spécialisés (y compris les consultations externes), le diagnostic et la pathologie, les réseaux hospitaliers locaux, les soins en établissement et les hôpitaux secondaires et tertiaires (publics et privés).

Les facteurs contribuant et influençant ce paysage santé sont : l’impact sur la santé des individus et le support des soins de santé, les opportunités et défis (attentes des consommateurs et des cliniciens, population vieillissante, impact des technologies et des maladies chroniques), la règlementation et l’infrastructure et le financement.



Source : Australia's health landscape infographic | Australian Government Department of Health and Aged Care

 La valorisation du prendre soin pour la pension et durant la pension

Lorsqu'on aborde l'organisation des soins, la question de leur répartition au sein de la société s'impose rapidement. Bien que chacun puisse, au quotidien, prendre soin d'autrui, cette responsabilité a largement été externalisée, notamment par les familles. Comment en est-on arrivé là ?

Ce glissement s’explique en partie par la place centrale accordée au travail dans notre culture. La valeur d’un individu y est souvent mesurée sur base de sa productivité et de son mérite. À cela s’ajoute une société du loisir qui renforce le cycle « travailler pour consommer ». Dans ce contexte, le temps consacré aux proches est peu reconnu, voire négligé. Pourquoi y investir si cela n'est ni valorisé ni soutenu ?

Le système belge illustre bien ce manque de reconnaissance. Les congés de maternité ou parentaux y sont relativement courts et faiblement rémunérés comparés à d'autres pays. Les pays nordiques, eux, offrent des dispositifs plus généreux et égalitaires: les deux parents sont encouragés à prendre un congé, ce qui favorise aussi une meilleure répartition des rôles dans la sphère professionnelle.

Dans un monde idéal, le " »prendre soin » des enfants, des proches, des voisins, … retrouverait une place pleine et entière dans notre emploi du temps. Cette activité, profondément humaine, pourrait non seulement soulager les services saturés, mais aussi renforcer le tissu social. « La solidarité a peu à peu laissé place à la méritocratie. Nous devons réapprendre à prendre soin ! », affirme Jean Macq. C’est en effet le monde du travail qui a largement contribué à externaliser ces activités à des structures extérieures.

La retraite est une autre période où cette question mérite d’être posée. De nombreuses personnes âgées réalisent l’importance du soin et s’y engagent, mais cette ressource reste largement sous-utilisée. Si le « prendre soin » était reconnu comme une contribution sociale légitime et valorisante, nombre de retraités, souvent en bonne santé entre 66 et 76 ans, pourraient y jouer un rôle actif. Cela nous ramène à l’invisibilité du prendre soin… Rendre visible cette implication permettrait peut-être d’en élargir la portée.

La responsabilité populationnelle partagée

On parle de responsabilité populationnelle partagée. Cela signifie qu’on ne prend pas seulement soin d’une personne mais d’une communauté qui vit dans un territoire donné. Et on ne peut assurer cette responsabilité que si l’on comprend ce que font les autres dans leur environnement.

La santé communautaire est un concept important également. Pour travailler au niveau d’une communauté, on doit agir avec tous les acteurs du social et de la santé (CPAS, soins primaires, assistants sociaux, infirmiers de rue, relais social, …)

Le prendre soin individuel va être plus robuste si, dans un territoire donné, on a des groupes communautaires à qui on redonne plus de force. Ce qui est communément appelé la « gestion populationnelle » est dédié à la planification des ressources : comment mieux attribuer, répartir les ressources disponibles en fonction du profil de la population dans une zone donnée. La responsabilité populationnelle partagée permettra d’avoir un système plus robuste et résilient car plus les acteurs se connaissent, mieux ils travaillent ensemble et à terme, cela est bénéfique tant pour la santé populationnelle que pour l’utilisation des ressources disponibles.

Il est démontré qu’une communauté solidaire est plus résiliente et donc plus robuste.

Jean Macq a participé à la recherche-action « Integrated Community Care » https://transform-integratedcommunitycare.com/strategy, dont nous avons pu retrouver cet extrait : « La raison d’être de la santé communautaire intégrée va largement au-delà des « soins ». Il s’agit tout autant d’activer et de renforcer les liens sociaux entre les gens. La santé communautaire est un investissement pour améliorer autant la santé que la cohésion sociale. La santé est perçue comme un bien public. ».

En fin d’interview, nous avons demandé à Jean Macq s’il pouvait partager avec nous une citation, un livre ou toute autre création qui l’a le plus plongé dans le concept du « vrai prendre soin », ces dernières années. Il a sans hésiter fait référence au film « Manu, l’homme qui ne voulait pas lâcher la caméra » d’Emmanuelle Bonmariage. Ce film regorge d’éléments relatifs au prendre soin. Une citation de Manu Bonmariage lui-même est particulièrement remarquable : « Ce n’est pas si simple d’être ouvert à la société, disponible à ce qui nous entoure et qui semble être palpitant d’une façon interpellante. »

 

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